La "tradition", souvent non écrite, se transmet au fil des années de génération en génération et elle bien sûr propre à chaque cercle, club ou association. Les régiments de Cavalerie avaient également leurs traditions nées d'événements ou de faits de guerre ayant marqué leur existence. Certaines, ludiques et donc très particulières, surprennent le visiteur ou l'invité d'un soir: il n'est donc pas inutile d'en dire un mot...!
S'il te plait, dessine-moi un cochon !
par le Cdt Benoît SIBILLE, administrateur
En ces temps-là, il y avait au 1 Régiment de Guides une tradition à laquelle tous les officiers ont dû se soumettre avec - reconnaissons-le - une bonne volonté assez débonnaire.
Nul ne sait, au juste, à qui revient la paternité de cette coutume bizarre, mais ce qui est bien certain, c'est qu'elle remonte au début du siècle et qu'avant d'être devenue tradition en notre prestigieux mess, elle avait pignon sur rue dans un célèbre bistrot parisien, « Le Café de la Rotonde » situé sur un coin des Boulevards Raspail et Montparnasse, où la belle Rosita avait l'habitude d'imposer ce devoir aux nouveaux venus. C'est sans aucun doute en ces lieux de perdition où régnaient des mœurs un peu légères qu'un officier du Régiment l'y observa pour la première fois ... en tout bien tout honneur. Jean Giraudoux raconte aussi dans « Siegfried et le Limousin » avoir observé ce phénomène et on dit même que le Roi Léopold II, un des Belges les plus célèbres après Annie Cordy, se serait prêté à cette discipline, ma foi, assez inoffensive.
Pour ceux qui l'ignorent, faute d'avoir eu la chance ou l'honneur d'y participer, cette tradition consiste à dessiner, les yeux bandés, dans le "Livre des Cochons", un ... cochon. Le dernier trait étant impérativement consacré au placement de la traditionnelle queue en tire-bouchon qui caractérise notre animal. Mais tout cela serait beaucoup trop simple s'il n'y avait pas ce petit stress provoqué par le délai imposé dans les règles du jeu : le cochon doit être dessiné et terminé, queue placée, avant que les deux « parrains » choisis par le dessinateur n'aient vidé, d'un coup ou non, le verre de vodka loyalement versé par un tiers plus ou moins neutre !
Coutumièrement, les séances de « Cochons » se faisaient lors du Repas de Corps du 15 novembre à l'occasion duquel l'on ressortait de leur cachette le livre sacré et ... les pousse-café. Théoriquement, chaque officier du Régiment ne pouvait s'adonner qu'une seule fois à cet exercice précaire. Il arriva cependant que l'une ou l'autre exception vienne confirmer la règle. Les invités de marque étaient aussi priés de se soumettre à cette, louable autant qu'inutile, tradition des Guides. Parfois même ... des épouses d'officiers !
Extrait de Giraudoux Jean, Siegfried et le Limousin, Editions Bernard Grasset, Paris, 1922, pages 19 & 20 :
« J'étais sûr avant la guerre de rencontrer Zelten dans ce triangle maçonnique, à la seule heure où coulent enfin dans les verres à boire les couleurs des bocaux des pharmacies, où chaque table reçoit alternée la visite des chiens pour le sucre, des sourds-muets pour les deux sous, de ces dames pour le briquet ou pour le franc cinquante de leur taxi, et celle de Rosita dégrafée, exigeant de chaque inconnu qu'il dessinât au stylo dans son album, les yeux fermés, un cochon. »